Peine capitale : Essan Nanyeck, le dernier condamné à mort…
Par
Ariane Lefort, Nilen Kattany, Kursley Thanay
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Ariane Lefort, Nilen Kattany, Kursley Thanay
Il fut un temps où la peine capitale était une réalité à Maurice. La dernière personne à avoir été exécutée était Essan Nanyeck, aussi connu comme Alexandre. Il a été pendu à la prison centrale de Beau-Bassin un 10 octobre 1987.
C’est un 22 juillet 1987 qu’Essan Nanyeck voit sa vie basculée. Il est reconnu coupable par les membres du jury, à une majorité de huit contre un, d’avoir poignardé Abdool Rashid Atchia. Il est condamné à la peine de mort. Après ce verdict, il a recours à la Commission de pourvoi en grâce pour contester cette condamnation. Mais son appel à la clémence sera rejeté. L’ordre d’exécution a été signé par le Premier ministre et ministre de l’Intérieur d’alors, sir Anerood Jugnauth.
Le drame s’est joué en plein jour, le 23 juillet 1983, à la rue Farquhar, près du marché central de Port-Louis. Une vive dispute entre Essan Nanyeck et Abdool Rashid Atchia serait à l’origine de ce meurtre. Ce n’est que quatre ans après les faits, soit en 1987, qu’Essan Nanyeck est arrêté dans le sillage de cette affaire. Une première enquête préliminaire, présidée par le magistrat d’alors, l’ancien juge Bhushan Domah, n’a rien donné. Personne n’ose témoigner à ce moment-là.
À la suite des révélations faites par Raffick Peerbaccus devant la commission d’enquête sur la drogue, présidée par sir Maurice Rault, une enquête est alors ouverte dans le but de retracer l’auteur de ce crime. Essan Nanyeck, qualifié de tueur fou, est interpellé. Durant son interrogatoire et tout le long de son procès, Essan Nanyeck clamera son innocence. Lors du procès en cour d’assises, présidé par le juge Victor Glover, deux témoins oculaires, M.A.J G et H. G, sont appelés à déposer.
Le premier nommé affirme que les enquêteurs l’ont « effarouché » en 1983. Tandis que le second déclare qu’il a eu peur de consigner une déposition. Ils sont alors tous deux au courant qu’Essan Nanyeck fait partie d’un gang. Ils ne veulent pas témoigner par peur de représailles. Les deux témoins déclarent, lors du procès, avoir vu l’accusé qui attendait Abdool Rashid Atchia en dehors du marché central, armé d’un poignard. Pendant une dispute, affirment-ils, l’accusé a infligé plusieurs coups de poignard à la victime.
Selon les recoupements, la dispute entre les deux protagonistes avait pour toile de fond une altercation ayant eu lieu quelques jours auparavant entre le frère de la victime et un ami d’Essan Nanyeck. Dans le cadre du procès aux assises, la poursuite était assurée par l’actuel juge Asraf Caunhye, tandis qu’Essan Nanyeck était défendu par le défunt Me Guy D’Arifat.
Le vendredi 9 octobre 1987, Essan Nanyeck reçoit la visite de son homme de loi venu l’informer que l’appel à la clémence logé auprès de la Commission de pourvoi en grâce a été rejeté. Le condamné à mort exprime alors le souhait de s’entretenir avec un homme religieux. Les membres de sa famille sont, par la suite, mis au courant. Tous les dispositifs sont mis en place pour l’exécution prévue à six heures le lendemain. Essan Nanyeck est mis dans la cellule de la mort. Il passera ses dernières heures, seul, en attendant l’heure fatidique. Le lendemain, soit le samedi 10 octobre 1987, Essan Nanyeck demande l’autorisation de griller une dernière cigarette avant d’entamer sa dernière marche vers l’échafaud.
Le Défi-Plus est allé à la rencontre de la famille d’Essan Nanyeck. Cette dernière n’a pas voulu faire de commentaires. Le frère du supplicié n’a pas voulu revenir sur ce moment tragique qui a marqué sa famille en 1987.
Les photos sont des archives de la National Library
Le Premier ministre Pravind Jugnauth vient de relancer le débat sur la peine de mort. Pour la réintroduire, voici l’avis de nos juristes.

Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, soutient que la réintroduction de la peine de mort peut se faire par la présentation d’une loi votée à une simple majorité au Parlement. L’homme de loi explique qu’avant l’abolition de la peine capitale, celui reconnu coupable par un jury pour assassinat ou trafic de drogue, sans jury, risquait la peine de mort. Une fois celle-ci abolie, la peine infligée pour assassinat et trafic de drogue a été commuée à la peine à vie, qui était de 45 ans. Le Conseil privé de la Reine avait ensuite jugé qu’une peine obligatoire est anticonstitutionnelle. Après ce jugement, le code pénal a été amendé en 2007. Ainsi, celui reconnu coupable de meurtre et de trafic de drogue risque désormais une peine maximale de 60 ans de prison. L’avocat souligne que si l’on souhaite revenir avec une législation pour infliger la peine de mort, il faut révoquer la loi et en introduire une autre. « Nous n’avons pas besoin d’une majorité qualifiée pour que cette loi soit votée au Parlement. Une simple majorité suffit », conclut-il.
Le président du Bar Council rejette l’idée de réintroduire la peine de mort sur une base purement électoraliste. Me Jacques Tsang Man Kin estime qu’il faut un débat national et sérieux, voire un référendum sur la question. L’avocat affirme que la question de la peine de mort transcende toutes les sociétés, anciennes et modernes. Il revient sur les événements qui ont conduit à l’abolition de cette peine. « Elle a été abolie à la suite d’un arrangement politique entre le Mouvement socialiste militant et le Parti mauricien social-démocrate. Il n’y a pas eu de débat ni de consultation populaire au préalable », note-t-il. Il précise que la peine de mort n’est pas une solution miracle mais qu’il faut surtout revoir le fonctionnement des institutions, telles la police, pour chercher d’autres approches efficaces. Me Jacques Tsang Man Kin soutient qu’il ne faut pas occulter les doléances et la souffrance des toxicomanes et de leurs familles. « Les arguments contre la réintroduction de la peine de mort me convainquent tout comme ceux qui sont pour. » Le président du Bar Council est d’avis qu’il serait plus sage d’attendre les conclusions de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, pour lancer les débats sur ce sujet. Me Jacques Tsang Man Kin reconnaît, cependant, que la réactivation de la peine de mort est possible par le biais d’une loi votée à une simple majorité. Il précise, toutefois, que des arguments d’ordre constitutionnels, tels que le droit à la vie, peuvent surgir.
La déclaration du Premier ministre Pravind Jugnauth sur la peine de mort risque de diviser l’opinion publique et de provoquer d’intenses débats. Pourtant, sa réintroduction semble être une démarche beaucoup moins laborieuse car il suffit d’une simple loi au Parlement pour réactiver la peine capitale. Me Jean-Claude Bibi, avocat et ancien député, constate que la peine de mort a existé dans plusieurs civilisations et depuis des millénaires. Il soutient que cette forme de punition a pour origine l’influence judéo-chrétienne sur le monde occidental, les pays impérialistes et éventuellement sur les colonies à travers le monde. Pour Me Jean-Claude Bibi, la peine capitale n’a pas sa place dans une société moderne et civilisée. D’ailleurs, il précise que les pays qui y ont recours ne connaissent pas une baisse drastique de la criminalité et inversement ceux qui n’ont pas la peine capitale ne connaissent pas un taux de criminalité fort élevé. L’avocat estime, cependant, que le gouvernement peut réactiver la peine de mort en introduisant un projet de loi au Parlement. « Il suffit que ce projet de loi soit voté à une simple majorité. » Me Jean-Claude Bibi précise que des questions d’ordre constitutionnelles pourraient être soulevées si la peine de mort venait à être réintroduite.