Joanna Bérenger : «Les défis sont trop importants pour céder aux divisions»
Par
Patrick Hilbert
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Patrick Hilbert
La Junior Minister à l’Environnement, qui est aussi vice-présidente du MMM, revient sur l’année écoulée. Si la première année au gouvernement a été celle de la mise en place, la seconde devra être celle de l’exécution, estime Joanna Bérenger. Elle appelle à la solidarité gouvernementale et commente la crise récente au sein du gouvernement. Concernant la gestion des côtes, elle affirme que des décisions courageuses devront être prises dans le contexte de la montée des eaux.
Globalement, comment évaluez-vous cette année 2025 ?
2025 a été une année dense, exigeante, mais une étape nécessaire. C’est un début de reconstruction et de remise à plat, après une longue période où la liberté et les enjeux environnementaux ont été relégués au second plan. Nous avons dû faire face à des urgences et à des défis structurels tout en œuvrant pour une culture du dialogue, de transparence et de responsabilité. Ce n’est pas une année de solutions-miracles, mais une année où les bases ont été posées. Et où nos défis – internes comme externes – sont apparus pleinement.
Quelles leçons tirer de cette année écoulée ?
L’engagement politique est un combat après l’autre. Nous avons remporté en 2024 une victoire historique et une large adhésion. Pour autant, le pouvoir n’est pas une fin en soi et la popularité est toujours fluctuante. Travailler pour le pays implique de devoir constamment se battre contre les lourdeurs héritées, les intérêts sournois, les tentations dans notre propre camp. De manière générale, je retiens aussi qu’il vaut mieux consulter et expliquer, car même les meilleures intentions peuvent être incomprises. Concernant l’environnement en particulier, on ne peut pas le protéger sans dialogue et sans changement de comportements. Les investissements seuls ne suffisent pas. Il faut une responsabilité partagée et une vision à long terme.
Êtes-vous satisfaite de cette première année de l’alliance du Changement au gouvernement ? Quels ont été les points positifs et qu’est-ce qui, selon vous, aurait pu être mieux fait ?
Cette première année a permis de remettre l’intérêt général au centre des décisions publiques et redonner à certaines institutions importantes, comme le bureau du DPP, leur indépendance. Ce qui a été positif, c’est la volonté commune de rompre avec certaines pratiques du passé, d’ouvrir les portes à la société civile et d’aborder les dossiers difficiles sans les contourner.
Cela dit, nous aurions pu aller plus vite sur certains chantiers. Mais gouverner, c’est aussi composer avec – et lutter contre - des réalités administratives héritées, ainsi que des intérêts particuliers très tenaces. La fin du régime MSM n’est pas la fin de la mentalité MSM.
Comment aborder cette seconde année au gouvernement ? Quelles seront les priorités ?
Pour le gouvernement, il s’agit, après le temps des urgences, de mettre en œuvre les grands chantiers qui vont transformer notre pays. Je pense à la réforme électorale et constitutionnelle, à la réforme de l’éducation et au renouvellement de notre architecture de Law & Order. Au niveau de l’environnement, la deuxième année doit être celle de l’exécution. Les priorités sont : la protection des zones écologiquement sensibles, la propreté du pays, la réforme du système de gestion des déchets, la lutte contre la pollution plastique, et le renforcement de notre cadre légal. Il faut aussi intensifier la sensibilisation et l’éducation environnementale, tout en assumant des sanctions quand cela s’impose.
Après les soucis survenus il y a quelques semaines au sein de l’alliance, êtes-vous confiante qu’elle tiendra jusqu’à la fin de son mandat ?
Les alliances ne sont pas des espaces sans débats, et avoir des discussions franches est quelque chose de sain. Ce qui compte, c’est que nous mettions en œuvre notre programme électoral qui reflète une vision commune du pays et une volonté de servir Maurice. Les défis sont trop importants pour céder aux divisions, et c’est bien parce qu’ils sont si importants que nous ne nous laisserons pas détourner de nos objectifs.
En tant que Junior Minister à l’Environnement, quel est le bilan au niveau de la protection de l’environnement à Maurice ?
Le bilan est surtout celui d’un travail de fond. Nous avons renforcé la collaboration avec les ONG et la société civile. Nous avons avancé dans la préparation d’une feuille de route pour une île Maurice sans plastique, dans la réforme sur la gestion des déchets et sur la préparation de réformes législatives importantes, entre autres.
Quels sont les principaux défis environnementaux que Maurice affronte et quelles mesures concrètes pour les surmonter ?
Les défis majeurs sont la gestion des déchets, la pollution terrestre et marine, la pression sur les zones côtières et le changement climatique.
L’étude « Coastal risks on the islands of Mauritius and Rodrigues », a été financée par l’AFD pour le compte du ministère de l’Environnement, sous une coordination assurée par le BRGM, et a été rendue publique sur le site du ministère de l’Environnement. Il montre, entre autres, que l’élévation du niveau de la mer s’est accélérée ces dernières années à travers le monde et pour diverses raisons, le niveau marin s’élève plus vite ici qu’ailleurs, soit environ 6 mm à Maurice et 9 mm à Rodrigues.
Il est en conséquence estimé qu’en 2050, nous pourrions avoir jusqu’à 60 mètres de retrait de côte. Il est estimé que quelque 4 000 bâtiments en zone littorale seraient impactés par le retrait de côte et endommagés d’ici 2050. Ce nombre monterait à 19 000 en 2100. S’il y a un gros cyclone aujourd’hui, 15 000 bâtiments seraient touchés par la submersion marine.
La vulnérabilité du littoral mauricien risque de s’aggraver si les stratégies de développement continuent de permettre les constructions en dur trop près de la mer.
Les réponses passent donc par des décisions courageuses, une bonne planification territoriale, un cadre légal plus robuste et pour la gestion des déchets par une refonte du système de collecte, la réduction à la source, et le tout accompagné d’une vraie culture environnementale.
Les changements climatiques impactent directement Maurice. Quelles actions urgentes pour l’adaptation et la résilience ?
L’urgence est de renforcer notre résilience, notamment face à l’érosion côtière comme mentionné, aux inondations et aux impacts sur la santé et l’agriculture. Cela passe par une meilleure protection de nos zones écologiquement sensibles. La soumission de la NDC 3.0 est une étape clé, avec des objectifs clairs de réduction des émissions. Mais l’adaptation locale – protection des zones vulnérables, aménagement durable, prévention – est tout aussi cruciale.
Quels sont les projets phares du ministère de l’Environnement pour 2026 ?
2026 sera marquée par la révision de l’Environment Act. J’ai soumis mes propositions d’amendements à l’Environment Act 2024 dès notre arrivée au ministère, mais 2026 verra également une large consultation nationale sur le sujet. Il y a aussi le projet de loi sur les zones sensibles, de nouveaux standards de qualité de l’air, une réforme des audits environnementaux industriels. J’espère également que les deux projets que j’ai tenu à initier pour réglementer l’utilisation des feux d’artifice et celui pour l’utilisation des produits chimiques avanceront rapidement en 2026. Ce sera aussi une année décisive pour le tri à la source et la réduction des déchets.
Vu la montée des eaux, faut-il continuer à allouer des permis de construire sur les Pas géométriques ? Quelle est la politique du gouvernement à ce sujet ?
À la lumière des études faites, la montée des eaux et l’érosion côtière imposent une réévaluation de certaines pratiques du passé. La priorité du gouvernement doit être la protection du littoral, dans l’intérêt des générations présentes et futures. Personnellement, je suis favorable à la plus grande fermeté sur ce sujet et je suis d’avis que certains engagements passés ne devraient justifier aucun laxisme.
En tant que vice-présidente du MMM, comment voyez-vous l’évolution du parti dans les années à venir ?
Je crois en un MMM fidèle à ses valeurs. Un parti qui continue de se renouveler, d’écouter la population et qui propose des solutions crédibles face aux défis contemporains, notamment environnementaux et sociaux. Cela passe par un auto-examen constant et une vigilance accrue contre les tentations et les dérives. Mais je fais confiance aux vrais militants pour défendre le vrai changement.
Quel rôle joue la jeunesse dans le MMM, et comment encourager leur participation ?
La jeunesse est essentielle en politique. Elle apporte de nouvelles idées, une sensibilité accrue aux enjeux climatiques et sociaux, ainsi qu’une exigence de transparence. La Jeunesse Militante se démarque par son attachement aux idées de gauche et son insistance sur le maintien de la flamme anime le parti depuis 1969. Je ne doute pas qu’elle saura s’assurer que sa voix soit entendue, car elle correspond aux valeurs qui font l’âme du parti.
Est-il vrai de dire que deux générations s’affrontent au sein du parti ?
Il n’y a pas d’affrontement, mais c’est vrai qu’il existe des sensibilités différentes – et cela n’est pas uniquement une question de générations. La crise récente a surtout montré différentes attitudes par rapport au pouvoir. Il y a eu heureusement des militants de tous les âges qui ont su mettre en avant leur loyauté à nos valeurs et à la personne qui les incarne le mieux, notre leader.
Quel a été le moment le plus marquant de 2025 pour vous personnellement et politiquement ?
Sur le plan politique mais aussi personnel, je reste marquée par mon discours en Kreol Morisien refusé à l’Assemblée nationale. Chacun peut avoir sa position sur l’interprétation légale, mais il est un fait que le KM, la langue de notre peuple, reste exclu des débats parlementaires... Alors que, pour reconstruire le pays après 10 ans d’un gouvernement autoritaire, manipulateur et surtout diviseur, il faut une meilleure reconnaissance de ce qui nous unit, notre langue maternelle, patrimoine commun de notre nation. L’utilisation du Kreol Morisien au Parlement va plus loin qu’une simple mesure pour faciliter la communication. C’est aussi une façon de nous affranchir de notre héritage colonial. C’est affirmer que nous, peuple métissé, pouvons utiliser notre langue nationale, produit de cette culture métissée, pour débattre de l’avenir de notre pays, et prendre les décisions pour nous-mêmes.
Que le moment le plus marquant pour moi soit celui d’un objectif encore inabouti, voilà qui résume bien l’année !
Pour clore cette dernière interview de l’année : quel est votre vœu le plus cher pour Maurice ?
Une île Maurice solidaire et résiliente, où chaque citoyen se sent responsable de son environnement et fier de protéger les biens communs que nous partageons.